Tendances à 2030 pour un numérique respectueux de l’environnement

Les prestataires du numérique, et les acteurs consommateurs de leurs solutions, sont-ils prêts à transformer profondément leur modèle et leurs pratiques pour un numérique plus respectueux de l’environnement ? Les tendances à 2030 relevées par AdVaes, visualisées sous la forme d’une matrice rapidement actionnable, peuvent aider ces organisations à mieux se projeter et anticiper les enjeux associés. Elles permettent de challenger les hypothèses retenues, de conforter les feuilles de route et les stratégies qui en découlent. Elles peuvent être utilisées comme outil d’argumentation et d’engagement des parties prenantes.

Les prestataires du numérique portent une attention croissante aux considérations environnementales et aux impacts associés à leur activité. La crise climatique et les catastrophes naturelles, leurs impacts sur la biodiversité, combinés à la crise énergétique, conduisent à une prise de conscience générale des enjeux inhérents. Celle-ci se traduit par une pression accrue des régulateurs, des investisseurs et des actionnaires, des consommateurs, et des employés de ces entreprises. Changer les modèles, concevoir et opérer différemment, réduire les consommations déstabilisent. Les initiatives associées peuvent s’en trouver freinées. Aussi, intégrer dès maintenant les schémas et les innovations futurs, insuffler une dynamique nouvelle qui implique de penser et de faire autrement, sont autant d’atouts pour contribuer et agir en faveur d’un numérique plus responsable.

La France a des objectifs ambitieux en matière de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre (GES) et de décarbonation comparativement aux autres pays de l'Union européenne, et plus largement aux autres pays du Monde. Il en est de même en termes de réduction des consommations énergétiques. Les prestataires du numérique actifs sur le marché français sont aussi soumis à des exigences plus accrues sur ce sujet que dans d’autres pays.

Tenant compte de ce contexte, la matrice d’AdVaes sur les tendances à 2030 pour un numérique à moindre impact et plus respectueux de l'environnement positionne selon 4 axes les actions que devront conduire les prestataires du numérique vis-à-vis : 

1/ Des enjeux environnementaux ; 

2/ Des impacts de l’application des réglementations ; 

3/ Des approches de conception et de développement de produits et de services ; 

4/ Des pratiques en matière d’opérations et d’exploitation de leurs solutions.

La liste de ces actions n’est pas exhaustive. D’autres axes d’évolution et d’amélioration existent, propres à chaque profil d’entreprise. Ces actions peuvent également se combiner ou non entre elles, avoir des effets induits dont il faut également tenir compte (cf. l’AIOps par exemple sur les ressources). Comme tout exercice prospectif, il est complexe de préjuger à moyen ou long terme d’innovations ou de phénomènes connexes pouvant survenir et avoir des incidences directes sur les prédictions énoncées. Aussi, ces tendances sont exprimées à l’aune des éléments connus et appréciables en ce début d’année 2023. 

Ces tendances à 2030 peuvent être remises en perspective des 7 enjeux suivants :

Crise environnementale

Selon le rapport du GIEC [2], la température mondiale devrait atteindre +1,5 °C à l’horizon 2030. Les émissions croissantes de GES représentent un défi majeur pour toutes les entreprises afin de contrer le réchauffement climatique. C’est en particulier le cas de celles du secteur du numérique, responsables de 3,5% des émissions de GES mondiales [3].

Les prestataires du numérique adoptent plusieurs mesures pour réduire leurs émissions de GES. D’abord, le calcul de ces émissions qui aide à suivre les progrès et à détecter les points d’amélioration. Début 2023, la majorité des acteurs du secteur donnent uniquement des évaluations pour les scopes 1 et 2, lorsqu’un bilan carbone a été fait. Le calcul du scope 3, qui peut représenter de 67% à plus de 75% des émissions de GES de ces entreprises, connaît un grand retard vu sa complexité (pour aller plus loin, lire l’analyse d’AdVaes “Les émissions de GES des prestataires du numérique : plongée dans les rouages du scope 3”). 

Les prestataires du numérique devront compléter le calcul du scope 3. Ils devront par ailleurs l’étendre progressivement à d’autres critères à impact réel sur l’environnement tels que l’eau, les déchets ou encore les métaux rares. De même, ils devront déterminer des actions clés de réduction plus fortes que celles sur lesquelles ils s’engagent aujourd’hui.

Les actions sur les émissions résiduelles, comme la séquestration du dioxyde de carbone ou la capture du dioxyde de carbone dans l'air (i. e. “Direct Air Capture” ou DAC), devraient se développer, bien que ne constituant pas une réponse suffisante en soi.

Réglementations et normes

La réglementation constitue un point de pression pour que les prestataires du numérique agissent d’une manière responsable. Plusieurs lois et directives sont entrées en vigueur pour réduire l’impact du numérique sur l’environnement. Ces réglementations concernent une panoplie de champs comme le reporting extra-financier, la lutte contre le gaspillage et l’obsolescence programmée, l'économie circulaire, la réduction des déchets électroniques et dangereux, l'efficacité des bâtiments, l'efficience énergétique, l’éco-conception, la réduction de l’empreinte environnementale du numérique… (pour aller plus loin, lire l’analyse d’AdVaes “Lois sur le développement durable : un réel changement pour les opérateurs d’infrastructures numériques”). Elles sont complétées par des initiatives adjacentes comme celle relative à la feuille de route de décarbonation de la filière numérique.

Jusqu’ici, certaines réglementations n’adressaient que les entreprises cotées en bourse ce qui concernaient un petit nombre de prestataires du numérique (ndlr : les entreprises du secteur du numérique représentent 15% du CAC 40 et moins de 10% du SBF 120 début 2023). Or, les réglementations environnementales récemment votées, tant au niveau de l’Union européenne que de la France, et pour une application dans les 2 à 3 ans, voient leur champ s’élargir en intégrant dans leur spectre des entreprises de plus petite taille et non nécessairement cotées en bourse (cf. CSRD - Corporate Sustainability Reporting Directive). Un plus grand nombre de prestataires du numérique devraient être concernés.

De même, les modèles d’évaluation et de reporting évoluent pour pallier les dysfonctionnements actuels, notamment en ce qui concerne les méthodes d’évaluation et de mesure. Ainsi, le calcul du scope 3 du bilan carbone devrait être revu, chaque entreprise suivant aujourd’hui un modèle de calcul différent des autres ce qui crée des disparités entre les résultats publiés. Utilisé pour décrire les émissions évitées, le scope 4 pourrait également être comptabilisé au bilan des émissions de GES.

Les normes et les certifications jouent également un rôle important dans l’adoption et la diffusion des mesures éco-responsables. AdVaes a analysé une dizaine de grands prestataires du numérique pour relever les certifications les plus répandues au sein de leur organisation : 100% d’entre eux sont ainsi certifiés ISO 14001 et ISO 50001, début 2023. La certification LEED (Leadership in Energy and Environmental Design) est aussi mise en avant pour ceux opérant des centres de données (data centers). 

Les certifications et les normes du marché en développement sont susceptibles d'impliquer des méthodes plus sophistiquées, une plus grande attention à la chaîne d'approvisionnement, et une attention plus large également à l'impact environnemental des opérations de tout prestataire du numérique.

Crise énergétique

La consommation énergétique du secteur du numérique a atteint près de 14% de la consommation électrique mondiale [4]. Cette consommation devrait continuer à augmenter, en raison de la demande croissante de traitement et de stockage des données, ainsi que de la croissance des appareils connectés. 

Les prestataires du numérique, et tout particulièrement ceux opérant des centres de données (opérateurs de data centers et cloud providers), devraient être plus nombreux à négocier des contrats mondiaux de type PPA (Power Purchase Agreement) pour répondre à la croissance de leurs besoins énergétiques tout en réduisant leur empreinte carbone et en soutenant le développement de sources d'énergies renouvelables (EnR). Certains investissent aussi dans la production d'énergies renouvelables et bas carbone sur leur campus, dans un objectif d’autoconsommation potentielle (cf. solaire, éolien, géothermie, biomasse, hydrogène…).

D’autres solutions devraient se développer comme celles d'edge computing afin de traiter au plus près les données qui le permettent. L’edge peut contribuer à réduire la consommation d'énergie en diminuant la nécessité de transmettre les données sur de longues distances.

En outre, l’amélioration des designs, la virtualisation et la mutualisation accrues des ressources de traitement (grâce au modèle du cloud computing), le développement et l'adoption de technologies à haut rendement énergétique (cf. serveurs et systèmes de stockage de nouvelle génération, à plus faible consommation énergétique), la récupération de chaleur émise quand cela est possible, devraient jouer un rôle clé dans la réduction de la consommation d'énergie du secteur du numérique.

Consommation d’eau

Au niveau mondial, l’OCDE estime que la demande en eau a augmenté deux fois plus vite que la population au cours du siècle passé [5]. L'eau est incontournable dans le secteur du numérique qu’il s’agisse de la production des équipements (cf. extraction des minerais et fabrication des processeurs) ou des systèmes de refroidissement utilisés par certains centres de données (pour aller plus loin, lire l’analyse d’AdVaes “Mieux respecter l’eau, un défi pour le numérique et les centres de données”).

Avec l’essor en ressources de traitement (i.e. “compute”) et de stockage de données, les consommations en eau par les prestataires du numérique ont également augmenté. Aussi, ces derniers devraient investiguer tous les leviers permettant de réduire leur consommation d'eau, tout particulièrement dans les régions en stress hydrique. Leurs actions passeront par le recours accru à des  systèmes de refroidissement sans usage d’eau ou très économes en eau, tels que ceux par immersion liquide par exemple (i.e. “immersive cooling”). Ces systèmes peuvent en effet réduire jusqu'à 90% la quantité d'eau nécessaire au refroidissement par rapport aux méthodes traditionnelles. Il s’agira aussi d’utiliser des sources d'eau recyclée et non potable, comme les eaux grises et les eaux de pluie comme alternative. L'avenir de la consommation de l'eau dans le secteur du numérique devrait être façonné par la combinaison d'innovations technologiques, d'une utilisation plus efficace et d'un intérêt croissant pour la durabilité.

Déchets, économie circulaire et éco-conception

Les déchets électroniques ont des effets néfastes sur l’environnement et la santé humaine. Il est impératif de réduire leur production, de conserver les ressources précieuses qu’ils recèlent (cf. métaux rares, pour aller plus loin, lire l’analyse d’AdVaes “Pour un numérique responsable, repenser les approches vis-à-vis des matières premières minérales”), et de s’inscrire dans un modèle plus durable et vertueux en favorisant l'économie circulaire.

La conception de produits numériques autour de modèles plus faciles à réparer, à mettre à niveau et à recycler devrait s’accélérer. De même, leur fabrication devrait inclure moins de matériaux toxiques nuisibles à l'environnement et plus de composants recyclés (cf. plastique par exemple). Les prestataires du numérique devraient systématiser l’achat d’équipements reconditionnés, le recours à la réparation et la revente de ceux usagés (serveurs, équipements réseaux, ordinateurs, smartphones…), l’assemblage au juste composant et les gains par la recherche d’une meilleure densité. Des réflexions devraient s’ouvrir autour des notions telles que l’open hardware.

Ces notions d’économie circulaires devraient également s’appliquer aux domaines des applications et des services numériques, en favorisant les approches de réutilisation de codes, de recours à des APIs (interface de programmation d'application), des micro-services et au serverless, de reversement (cf. open source) ou encore de développement no code / low code.

Au-delà, les prestataires du numérique devraient réaliser des Analyses du Cycle de Vie (ACV) afin de mieux comprendre et gérer les impacts environnementaux et sociaux de leurs solutions. L'utilisation d'outils numériques et d'analyses de données est susceptible de jouer un rôle plus important dans ces ACV, en permettant des évaluations plus précises et plus efficaces. Pour ce faire, la collaboration entre les prestataires du numérique et leurs partenaires industriels pourrait s'intensifier afin d'établir des méthodologies et des paramètres communs d'ACV. L'objectif global est de favoriser l'amélioration continue et l'innovation dans le secteur pour un avenir plus durable et responsable.

Opérations et exploitation IT

Un changement d'orientation dans les opérations informatiques devrait s'opérer avec une transition du FinOps vers le GreenOps. Cela sous-entend un passage des performances et de l'efficacité à la durabilité et à l'impact environnemental. Cette transition devrait être motivée par la demande croissante en technologies durables et respectueuses de l'environnement. Elle représente une étape critique vers la création d'un secteur du numérique plus durable et plus respectueux de l'environnement. Elle devrait jouer un rôle clé dans la réduction de l'impact environnemental du secteur (pour aller plus loin sur le FinOps, lire l’analyse d’AdVaes “L’approche FinOps, levier d’amélioration de l’empreinte carbone”).

Pour agir sur les bons leviers et mettre en place les bonnes actions d’amélioration, il est indispensable de faire la mesure et de la suivre dans le temps. Les outils d'observabilité et de monitoring devront de plus en plus intégrer des composantes permettant de faire la mesure de critères environnementaux. Une observabilité et un monitoring consolidés seront motivés par la complexité croissante des systèmes informatiques à opérer et le besoin d'une vision plus holistique des opérations informatiques, incluant leurs impacts environnementaux. La surveillance prédictive aidera par ailleurs à identifier les leviers actionnables plus rapidement et à améliorer leurs performances. La transition de la surveillance en silos à la surveillance consolidée représente une étape critique vers l'amélioration de l'efficacité et de l'efficience des opérations informatiques tenant compte de plus en plus de la dimension environnementale. 

Au-delà, il s’agira de prolonger la durée de vie des équipements, d’optimiser le traitement des données (collecte différenciée, réduction des volumes, réduction du trafic réseau associé, stockage optimisée…) et d’automatiser au plus juste les actions afférentes. Sur ce registre, les technologies d’intelligence artificielle et d’apprentissage machine devraient venir en support dans des approches de type AIOps ou MLOps.

Achats responsables

Les prestataires du numérique sont conscients de l'impact environnemental de leurs activités et de leurs chaînes d'approvisionnement, et se fixent des objectifs afin que leurs produits et leurs services soient conçus de manière responsable et durable, incluant des démarches d’éco-conception.

Le Gouvernement français a élaboré un guide pratique pour des achats numériques responsables [6] qui devrait aider dans cette dynamique tant les prestataires qui fournissent les solutions que les organisations qui les consomment. Au-delà, les certifications et autres labels dédiés aux achats responsables (cf. Label Relations Fournisseurs et Achats Responsables) devraient renforcer le devoir de transparence et l'évaluation des pratiques et des performances de ces prestataires, et établir des objectifs et des mesures de durabilité pour évaluer leurs progrès. Dans ce domaine, l'utilisation d'outils numériques et d'analyses de données est également susceptible de jouer un rôle de plus en plus important pour aider les entreprises à prendre des décisions d'achat éclairées et à évaluer les performances ainsi que les progrès de leurs fournisseurs.

[1] Opérateurs de centres de données (data centers), fournisseurs de services de cloud (IaaS, PaaS, SaaS...), entreprises de services du numériques (ESN), éditeurs de logiciels, intégrateurs, distributeurs, revendeurs…

[2] GIEC - Changement climatique 2021

[3] The Shift Project - Impact environnemental du numérique - Tendances à 5 ans et gouvernance de la 5G - Mars 2021

[4] France Stratégie - La consommation énergétique du numérique : l'impossible maîtrise de la croissance de la consommation par le seul progrès technologique - Octobre 2020

[5] OCDE - Environnement : Air, Eau et Sols - 2005

[6] Mission interministérielle Numérique écoresponsable - Guide pratique pour des achats numériques responsables - Avril, 2021

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