Durant la première vague de la pandémie, les organisations ont pris conscience que le numérique, et notamment les services de cloud (conférence, formation et éducation à distance, télétravail, commande, transaction et service en ligne…), ont joué un rôle clé pour répondre aux enjeux auxquels elles étaient confrontées. Ils ont sans doute évité un choc économique qui aurait pu être encore plus dur. Au-delà, ils ont permis de conserver des liens sociaux dont il est difficile de mesurer les impacts sur la santé mentale et psychique des populations si ceux-ci avaient été complètement rompus par les obligations de confinement. Ce rôle clé se dessine dans d’autres registres : AdVaes est en effet convaincu que l’innovation numérique en conscience et raisonnée est une nécessité pour aider le monde à être plus durable demain.
Même si les outils numériques sont une part du problème aujourd’hui car ils consomment de l’énergie, de l’eau, captent des métaux stratégiques dont l’extraction érode des terres rares, émettent du CO2 par leur usage, la production et le transport des matériels des usines aux lieux de consommation (équipements, serveurs, terminaux…), génèrent des déchets difficilement recyclables pour certains, ils peuvent en retour aider les organisations à atteindre leurs objectifs de durabilité et de réduction de leur empreinte carbone.
Dans le rapport 2020 “World Energy Markets Observatory” de Capgemini, Philippe Vié, en charge du secteur « Energy & Utilities » de la société, mentionne ainsi que pour le secteur de l’énergie électrique « bon nombre de ressources et d’outils numériques sont arrivés à maturité et disponibles pour améliorer la prévisibilité, la fiabilité, la stabilité du réseau [électrique] et, finalement, la sécurité de l’approvisionnement, et accélérer la transition énergétique. »
Les outils numériques sont aujourd’hui une grande opportunité pour optimiser les actions que les organisations lancent en matière de développement durable, pour améliorer leur performance, automatiser des processus, réaliser des calculs et du traitement massif de données qu’il n’est plus possible humainement de faire avec des méthodes anciennes, dans des domaines variés, et tout particulièrement ceux des transports, de l’énergie, de la construction et de la santé (recherche de traitements, médicaments, vaccins, aide au diagnostic…).
Le numérique peut être pourvoyeur de nombreux bénéfices, d’autant plus positifs s’ils intègrent un travail d’optimisation de l’ensemble du cycle de vie des usages associés tout en se concentrant sur ceux utiles et nécessaires.
A titre d’exemple, le modèle du cloud computing permet de faire fonctionner les systèmes d’information plus efficacement par une meilleure allocation des ressources en quasi-temps réel, de manière mutualisée et prédictive. La consommation énergétique des centres de données qui hébergent notamment les services de cloud est ainsi relativement stable depuis 10 ans [1]. Elle représente environ 1% de la consommation d’électricité mondiale. C’est surtout et essentiellement le trafic Internet qui a augmenté entre 2015 et 2021 [2]. Mais comme stipule l’International Energy Agency (IAE) « parce que l’efficacité énergétique des centres de données et des réseaux s’améliore rapidement – doublant tous les deux ans – la consommation d’énergie et les émissions d’aujourd’hui seront encore plus faibles » et le seront encore plus dans les prochaines années. Il faut par ailleurs intégrer les innovations réalisées dans les domaines du traitement de l’images et de la compression du signal vidéo. La plate-forme Maxine de streaming vidéo motorisée par le cloud et l’intelligence artificielle (IA) lancée par Nvidia permettrait de réduire significativement la consommation de bande passante d’un appel vidéo (d’un dixième !).
Aujourd’hui, tous les grands acteurs du cloud ont enclenché des programmes pour diminuer leur empreinte carbone, leur consommation en eau, mieux recycler et favoriser une économie circulaire. Ils savent qu’ils doivent agir et contribuer aux efforts de lutte contre le réchauffement climatique. Ce sujet est au cœur de leurs préoccupations, boosté aussi par les règlementations, leurs clients, leurs employés et leurs actionnaires. Parmi les actions concrètes lancées, quelques-unes engrangent des résultats d’ores et déjà opérationnels et quantifiables. Ne pas s’engager sur ce sujet serait préjudiciable à leur activité, à l’économie, à la société… Ces actions engagées n’excluent pas qu’il soit nécessaire en parallèle de reconsidérer les modes de consommation du numérique et de réfléchir sur la pertinence des usages de certains, le tout dans une démarche de sobriété numérique calculée et raisonnée. Ces acteurs ont conscience qu’il faut encore faire plus pour l’efficacité et la performance énergétiques de leurs solutions. La révolution portée par le numérique et l’exploitation des données ne peut être considérée en effet comme un progrès si elle détruit plus qu’elle n’aide, ne contribue à la protection de l’environnement et à sa durabilité.
De nombreux exemples d’actions concrètes tirant parti du cloud, de l’IA ou encore de l’IoT (Internet of Things), et dont les résultats sont bénéfiques à une économie et à une société éco-responsables, peuvent être remontés. En voici quelques-uns :
- Optimisation de la gestion d’un réseau électrique en vue d’améliorer un service de fourniture d’électricité et le rendre plus résilient : utilisation de l’IA et de drones par Enedis avec l’aide de la société Alteia (spin-off de Delair) et de Microsoft pour mieux suivre les opérations de maintenance des installations du réseau électrique aérien de moyenne tension (6 500 km de lignes la première année), surveiller la végétation près des lignes et anticiper les travaux d’élagage à réaliser. L’approvisionnement en énergie est ainsi rendu plus fiable.
- Création d’une plate-forme d’analyse de données en provenance d’objets connectés (IoT) pour le secteur de l’énergie : association entre Amazon Web Services (AWS) et la société néo-zélandaise Vector, de distribution d’électricité et de gaz. La plate-forme développée s’appelle NEP pour « New Energy Platform ». Au-delà des aspects liés au traitement et à l’analyse de masse de données en provenance de plus de 1,6 millions de compteurs connectés, les modèles de tarification précis et dynamiques qui devraient en découler inciteront à utiliser l’énergie produite localement (en provenance de panneaux solaires et de micro-réseaux, ou de celle stockée par les consommateurs eux-mêmes via des batteries).
- Solution IoT pour améliorer les itinéraires de camions permettant de réduire les coûts de carburant et les émissions de carbone. Le société SHV Energy, distributeur mondial d’énergie hors réseau (GPL, GNL, biocarburants et solutions d’énergie renouvelable) a déployé des systèmes de télémétrie et de compteurs intelligents sur ses réservoirs de gaz en Europe et aux États-Unis dont les données sont remontées via la solution « IoT connectivity » d’Orange Business Services.
- Réduction des émissions de carbone de l’immobilier commercial. Carbon Lighthouse travaille avec Amazon Web Services (AWS) pour exploiter la puissance de l’apprentissage automatique (« Machine Learning »). Des milliards de données sont analysées pour trouver des axes d’efficacité énergétique cachés dans les systèmes d’éclairage et maximiser les réductions d’émissions de carbone. Aux Etats-Unis, 40% des émissions annuelles de carbone proviennent en effet des bâtiments, dont une part importante de l’immobilier commercial. Avec cette solution, 260 000 tonnes de CO2 ont déjà pu être éliminées.
- Solution d’optimisation des déplacements de véhicules grâce à des algorithmes d’IA. En construisant en dynamique des itinéraires et en réduisant le nombre de kilomètres réalisés à vide, la solution proposée par Atos pour Baie d’Armor Transports, et son service de transport à la demande (TAD), permet de réduire ses émissions de gaz à effet de serre.
- Développement d’un outil de visualisation des données de planification et de prévision pour aider les municipalités à évaluer leurs projets d’infrastructure, planifier et atténuer les impacts du risque climatique. Cette solution à base d’IA est mise au point par Evergreen, une ONG, repose sur Microsoft Azure, et est financée par le programme AI for Earth, un pilier de Microsoft AI for Good. La ville de Calgary au Canada est la première à tester ce nouvel outil.
- Développement par Lindsay Corporation, un fabriquant d’équipements et de technologies d’irrigation et d’infrastructure, de solutions numériques permettant d’améliorer la gestion de l’irrigation, de détecter et de signaler des problèmes associés, d’aider les producteurs à évaluer et à améliorer la durabilité et la rentabilité de leurs opérations. L’objectif est de pouvoir ainsi économiser grâce à ces solutions, reposant sur Microsoft Azure IoT, plus de 700 milliards de gallons d’eau et plus d’un milliard de kilowattheures d’énergie d’ici 2022.
- Optimisation des algorithmes de suivi de consommation énergétique de centres de données, ceux qui gèrent la programmation des énergies qui seront consommées selon les besoins à venir : partenariat entre OVHcloud et l’INRIA.
Ces exemples montrent qu’un mouvement s’est enclenché, que ce ne sont pas que des actions qui relèvent de l’écoblanchiment ou du « greenwashing », que les acteurs du numérique souhaitent jouer un rôle actif et qu’ils ne peuvent pas le jouer seuls. La majorité des initiatives qui tirent parti du numérique pour une économie et une société plus éco-responsables sont en effet conduites en partenariat. Elles montrent que c’est tout un écosystème qu’il est nécessaire d’embarquer dans la dynamique. Il s’agit bien d’un travail collectif, dans lequel tout l’écosystème numérique doit aussi s’impliquer et pas uniquement les grands acteurs du marché.
Or, en France, tout un pan encore du marché du numérique reste en retrait, dans l’expectative malgré les initiatives portées par des instances représentatives de la profession, comme celle du Syntec Numérique entouré de ses partenaires avec Planet Tech ‘Care. Ce pan n’a pas encore pris conscience de l’urgence de faire évoluer son modèle pour contribuer pleinement à la cause ou refuse de le faire arguant que cela ne soutient en rien le développement de son activité. Ne bougera-t-il que lorsque les clients imposeront des obligations, en plus de celles exigées par les réglementations ? Les clients doivent-ils s’impliquer encore plus ? Doivent-ils avoir un rôle encore plus déterminé pour faire bouger les lignes ? Sans doute, tout en intégrant que le changement doit être accompagné et qu’il est compliqué à conduire, à tous les étages. Ne tardons plus. Anticipons pour éviter de rester, à nouveau, sur le bord du chemin et manquer le virage de cette transition énergétique par le numérique.
[1] et [2] Source : International Energy Agency (IAE)